EDITO N°5
Bonjour lecteur,
Comme promis, voici un édito consacré aux compagnies aériennes européennes en ces temps de "fin" de COVID-19. Si tu aimes les avions (ou pas d'ailleurs) : BIENVENUE
Dessine moi un avion
(bon, je reconnais que ce titre est naze)
Thème du jour (bonjour) : les difficultés financières des pauvres compagnies aériennes, alors que 90% de leurs avions sont cloués au sol. Et des aides qui leur sont/seront allouées par les différents pays européens.
Certains parleront de scandale, moi je n’utiliserai que le terme « débat ».
Mais, voici de quoi il est question…
Tout d’abord, un retour en arrière s'impose
Le secteur aérien est un des secteurs qui polluent le plus et ce à tous les niveaux : local/régional/national/international/spatial (non là je blague). Il est notamment responsable d’environ 3% des émissions mondiales de CO2 soit, pour te donner une idée lecteur, environ le cumul des émissions de la France et du Royaume Uni réunis. Rien que ça.
Comme l’explique Carbone 4*, « si le secteur aérien était un pays, il serait le 6ème pays le plus émissif. »
* Aparté n°1 : je cite mes sources plus bas, donc ne t’inquiète pas, lecteur, si je n’y fais pas référence en plein milieu de paragraphe. Je ne veux pas te couper dans ta lecture, te divertir, que dis-je, te détourner du propos (certes, c’est un peu ce que je suis en train de faire là).
« Ce n’est pas une surprise », me diras tu. Soit.
Mais savais tu que ce secteur, alors que tous les autres réduisent leurs émissions, a fait littéralement exploser les siennes ? Quand je parle d'explosion, je parle d'un boom (explosion/boom jeu de mot quand tu nous tiens!) de 25% d’émissions supplémentaires, pour ces 5 dernières années et ce seulement en Europe.
Garde en tête que le secteur aérien pollue tout autant que les secteurs de l’énergie et de l’industrie lourde. En toute tranquillité: « Airlines are the new coal ».
Ryanair a, par exemple, brillamment réussi à se hisser dans le top 10 des plus gros pollueurs européens de l’année 2019. Juste derrière des entreprises d’extraction de charbon, tout de même. Et les autres compagnies font désormais partie des plus gros émetteurs de leurs pays respectifs.
« Mais comment cela est-il possible ? » t'égosilles-tu maintenant.
Voici ma réponse: l'aéronautique bénéficie d’un traitement de faveur exceptionnel par rapport aux autres secteurs du transport. Cela date de 1944, lorsque la Convention internationale de Chicago se fixe pour objectif de dynamiser le secteur et de favoriser les échanges après-guerre. Ainsi, les compagnies aériennes se sont vues octroyer :
- des exemptions de taxes sur le carburant : pas de taxe sur la consommation de produits énergétiques ni de TVA pour le kérozène ;
- des quotas gratuits de pollution : 85% des « droits de polluer » sur le marché carbone européen sont offerts (sans payer, donc, puisqu'offerts) aux compagnies aériennes. Ah, elles doivent quand même acheter les 15% restant… Dur dur
Ensuite, un peu de green washing
Alors oui, quelques initiatives provenant du secteur aéronautique ont été lancées pour réduire les émissions de CO2. A l'instar du programme CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation) adopté en 2006 par l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale)**, principale plateforme de gestion des émissions du secteur depuis le protocole de Kyoto de 1997.
** Aparté n°2 : Oui je sais, il y énormément de sigles et de répétitions des mots 'secteur" et "aéronautique". Mais crois moi lecteur, j'ai fait de mon mieux pour éviter cela (en utilisant "domaine" par exemple). Breeeef.
Reprenons.
CORSIA est une série de mesures visant à compenser la fraction des émissions de C02 des vols internationaux qui excèdent leurs niveaux de 2020.
Stop. Arrêtons-nous là, lecteur, et reprenons les mots de cette phrase. Calmement.
1) "Compenser" : on parle ici d'un système d'offset c'est à dire d'investissements dans des programmes de compensation carbone ou d'achats de crédit carbone sur le marché européen --> Ok, on est bien d'accord : il ne s'agit nullement de réduction des émissions. On est plutôt sur une idée de « Je pollue, toujours plus si je veux, mais je paye. Donc ça va ».
2) "Vols internationaux" --> Ok, et les vols domestiques alors ? On oublie ? (remarque avec le Covid et les décisions de Bruno Lemaire, il y en aura sûrement de moins en moins)
3) « CO2 » --> Ok, il est vrai que seul le CO2 pollue et est un gaz à effet de serre. Surtout dans le doux monde des avions.
4) « qui excèdent leurs niveaux de 2020 » --> OK, donc on s’intéresse uniquement à une petite fraction des émissions calculées sur des taux déjà énormes (cf mon petit retour en arrière). Je pensais que l'on voulait vraiment régler le problème. Ouf.
Ah, j'oubliais. CORSIA est basé sur le volontariat jusqu'en 2026. A ce jour seulement 81 Etats, soit 77% du traffic aérien, se sont portés volontaires.
L'OACI vise aussi à améliorer les performances énergétiques des avions via les biocarburants notamment. Sauf qu'ils sont pour le moment 2 à 3 fois plus chers que le kérozène, donc personne ne les utilise. Dommage (cf exemption de taxe sur le carburant).
Tu as donc appris, lecteur, que ces brouillons d'objectifs sont plus qu’insuffisants pour atteindre une stratégie de réduction massive des émission. A noter qu'il s'agit de -50% des émissions entre 2005 et 2050 pour rester dans un scénario "2°C compatible".
Enfin, faut-il renflouer les caisses des compagnies aériennes ?
Non.
Bon, c'est peut être un peu violent sachant que le nombre de jobs qui dépendent du secteur est d'environ 11 millions d’emplois directs et 65 millions d’emplois indirects.
Cependant, on peut s'alarmer du peu de contraintes imposées aux compagnies qui reçoivent ou recevront ces prêts d’Etats (argent des contribuables rappelons-le). Autrement dit, la plupart des compagnies peuvent bénéficier de ces mesures fiscales de sauvetage sans contrepartie environnementale ! C’est comme un laisser-faire pour un retour à la normale. Et juste histoire de donner un ordre d'idée un peu chiffré : on parle de 12,8 milliards d’€ d’aide demandée par les compagnies aériennes européennes.
"Un exemple ! Un exemple !" me cries-tu. Ok. Alors, ces 5 dernières années, Easyjet a généré environ 2,3 milliards d’£ de bénéfices nets et reversé 1,4 milliards d’£ en dividendes pour ses actionnaires. C'est pas mal hein? Pourtant, un prêt de 690 millions de £ lui a été octroyé par le gouvernement anglais - juste après que le propriétaire d’Easyjet se soit versé 69 millions de £ en dividendes… Ah, et pour l’effort national, Easyjet a été une des premières entreprises à ne pas payer ses employés pendant deux mois. "Crise" oblige.
Suspendre toute aide au secteur n’est assurément pas la chose à faire. Mais octroyer des prêts étatiques sans contrepartie est de la folie. D’après l’ONG Transport& Environnement, il faut exiger du secteur une réduction drastique de leurs émissions par le recours à du carburant plus « vert » mais aussi par une taxation équitable. L’argent levé par ses taxes permettrait notamment d’investir dans d’autres secteurs comme le transport ferroviaire.
Du côté français, le plan d’aide pour AirFrance serait un prêt de 7 milliards d’euros avec certaines contraintes économiques (réduction des lignes non rentables, règles quant à l’éventuelle entrée au capital d’entreprises ou d’états étrangers qui profiteraient de la crise pour prendre le contrôle d’une des entreprises stratégiques françaises) et environnementales. AirFrance devra réduire de 50% les émissions de CO2 de ses lignes nationales d’ici à 2024 et de 50% l’ensemble de ses lignes d’ici à 2050. Mais où sont les obligations ? Et pour comparaison, le plan de développement du vélo post-Covid est doté d'un budget de … 20 millions d'€.
Quel avenir pour l’aviation alors ?
I am the new Mme Irma
On peut tout d’abord anticiper de nombreux freins à la reprise du secteur aéronautique.
1) Un frein psychologique des usagers avec la peur de prendre l’avion aussi souvent qu’avant.
2) Ensuite, des freins de franchissement des frontières (elles ne seront pas réouvertes avant un moment).
3) Puis des freins économiques puisque la mise en place de mesures sanitaires telles que la désinfection systématique des avions et l’éloignement des usagers qui impliqueront des taux de remplissage de 50%, provoqueront une augmentation d’environ 30% des billets.
Et d’un point de vue citoyen alors ? Eh bien, je te laisse visionner cette courte vidéo lecteur :
Et cette plus longue vidéo pour aller plus loin :
Peut-être pourrions-nous remettre en question notre manière de voir l’avion. Non, ce n’est pas neutre et anodin de continuer à voyager pour « pas cher » en avion. Sachant qu’une stratégie 2°C compatible imposerait que nous passions de 12tCO2eq/personne/an à 2tCO2eq/pers/an et qu’un aller-retour Paris New York dépense déjà 2 tonnes de CO2… Tu vois le problème ! Un mouvement anti avion « Flygskam » (honte de l’avion) est déjà en place en Suède, dans les traces de la militante écologiste Greta Thunberg.
Sources-si-tu-ne-me-crois-pas-sur-parole :
https://carbonmarketwatch.org/our-work/aviation-emissions/aviation-bailout-tracker/
http://www.carbone4.com/laviation-changement-climatique-rapide-survol-enjeux/
https://www.euractiv.fr/section/plan-te/news/why-we-are-far-from-imposing-a-tax-on-kerosene/
https://www.transportenvironment.org/press/ryanair-joins-club-europe’s-top-10-carbon-polluters